mercredi 14 décembre 2011

Le nucléaire : déverrouiller le débat


Christian BAUDELOT

Les appels à l’ouverture du débat démocratique sur le nucléaire en France se
multiplient.
Un ouvrage présente de façon claire, documentée et efficace les arguments
qui peuvent peser en faveur d’une transition énergétique.
Recensé :  Benjamin Dessus, Bernard Laponche,  En finir avec le nucléaire :  Pourquoi et
Comment ?, Éditions du Seuil, 2011, 170 p., 13€

Un livre qui tombe à pic. À l’heure où la question du nucléaire refait enfin surface
dans le débat politique, il est important d’y voir clair. Et surtout de dépasser le niveau
affligeant auquel les politiciens de gauche comme de droite cantonnent aujourd’hui le débat
sur une question vitale pour notre société, bien sûr, mais aussi pour celles de tous nos voisins,
les nuages radioactifs respectant rarement le tracé des frontières entre les États. Depuis des
décennies, le débat démocratique sur l’énergie nucléaire est verrouillé, l’intervention
citoyenne étouffée. Le domaine relève de la Raison d’État. Il est impossible et impensable de
renoncer au nucléaire en France : la poursuite à l’identique de la politique nucléaire actuelle
est inéluctable. Remettre en question ce dogme, c’est à la fois porter atteinte à la raison et à la
patrie. Les citoyens ont de moins en moins la parole sur les sujets de société qui les
concernent au premier chef.
Pourquoi sortir du nucléaire ?
Le grand mérite de Benjamin Dessus et de Bernard Laponche est d’offrir au citoyen
ordinaire, dans un style simple et compréhensible, un plaidoyer rationnel, argumenté et
solidement documenté en faveur de la sortie du nucléaire. Les cartes sont abattues dès la page
de couverture : En finir avec le nucléaire, mais le plus intéressant dans l’ouvrage ce n’est pas
le titre mais ce qu’annonce le sous-titre : Pourquoi et Comment ?2
Les deux auteurs sont des spécialistes reconnus des questions énergétiques. Ils ont
respectivement travaillé à l’Edf et au Commissariat à l’énergie atomique avant d’occuper l’un
et l’autre des postes de responsabilité à l’Agence française pour la maîtrise de l’énergie. Ils
publient depuis une vingtaine d’années des ouvrages et des articles sur les dimensions à la fois
technologiques et économiques de la question.
Les raisons d’en finir avec le nucléaire sont connues : elles ont trait à la protection de
l’espèce humaine et de la planète. Rien de moins. Des accidents graves se sont produits à
Three Miles Island, Tchernobyl et Fukushima. C’est une illusion de penser que le parc
nucléaire français se trouve sur le long terme à l’abri d’une catastrophe du même genre, voire
pire. D’autant que l’usage du mox comme combustible aggrave considérablement les risques.
À supposer qu’il ne s’en produise pas, la gestion des déchets nucléaires est loin d’être réglée,
sur le moyen, mais surtout sur le long terme. La propagation inconsidérée des technologies
nucléaires risque aussi d’accroître fortement les risques de conflit, chantage ou d’agression
nucléaire.
Les auteurs ne sont pas les premiers à le dire tant ce diagnostic est désormais une
évidence. Au point que nos voisins immédiats, l’Allemagne, l’Italie, la Suisse et la Belgique
ont renoncé ou sont en train de renoncer à une technologie comportant autant de risques pour
les générations d’aujourd’hui et de demain.
Mais l’essentiel de l’ouvrage n’est pas là. Il est dans la richesse de la documentation et
la pertinence de l’argumentation qui mettent à mal bien des certitudes établies. Entre autres
l’idée fréquemment martelée que la France est trop engagée dans le processus pour envisager
de sortir du nucléaire sans nous ramener à l’ère de la bougie. Une analyse serrée des coûts
montre en effet que le bilan économique et social d’un scénario de transition énergétique et de
sortie du nucléaire dans vingt ans est non seulement possible mais peut se révéler positif en
termes de lutte contre la précarité et pour l’emploi.
Beaucoup des arguments avancés par les thuriféraires du nucléaire se révèlent être de
purs mensonges, entre autres celui de l’indépendance énergétique que les centrales nucléaires
assureraient de façon durable à notre pays. Curieusement, les bilans énergétiques officiels
passent entièrement sous silence l’achat de l’uranium. Or cette matière nécessaire à la
production d’énergie nucléaire est entièrement importée. Nous dépendons dans ce domaine du 3
bon vouloir du Canada, du Niger et du Kazakhstan. Les scénarios de poursuite du nucléaire
offrent ainsi plus d’aléas économiques et financiers que les scénarios de sortie du nucléaire. Et
les coûts engendrés par la sortie ne sont pas nécessairement supérieurs à ceux d’un maintien
du statu quo.
Les atouts de la transition énergétique
Ce sont ces scénarios positifs, clairement exposés, qui constituent la partie la plus
neuve et la plus passionnante de l’ouvrage. Sans doute méritent-ils d’être discutés dans le
cadre d’un débat à la fois scientifique et démocratique. Mais l’essentiel est qu’ils sont
désormais mis à la portée  d’un large public, sous une forme compréhensible par tous avec
leurs avantages et leurs inconvénients, les premiers semblant de loin l’emporter. Pour les
auteurs, la transition énergétique repose sur trois principes d’action :
• La sobriété énergétique
• L’efficacité énergétique
• Le recours aux énergies renouvelables
Immense est encore en effet la marge de manœuvre constituée par les seules économies
d’énergie réalisables par des réductions de consommation d’électricité. Sans qu’on s’en soit
vraiment aperçu, depuis trente ans, la consommation d’énergie a diminué relativement dans
les pays européens : entre 1979 et 2007, la consommation d’énergie par habitant n’a augmenté
que de 6% alors que le produit intérieur brut par habitant a cru de 67 %. Ces économies
proviennent en partie des modifications structurelles des économies des pays européens mais
aussi de l’amélioration de l’efficacité énergétique, dans l’industrie et dans les bâtiments.
D’immenses marges de manœuvre restent encore ouvertes. L’Allemagne s’est engagée dans
cette voie depuis longtemps et les résultats sont là. Pas la France. Et pourtant ! En 1998, les
allemands consommaient la même quantité d’énergie domestique par habitant que les français
(950 kWh par habitant). Dix ans plus tard, ils en consomment autant et nous, 28 % de plus
(1230kWh par habitant). Cet écart de 28 % de plus s’explique par une volonté politique
allemande de maîtriser au mieux la consommation électrique des ménages par des politiques
incitatives auprès des producteurs d’appareils, des taxes énergie et CO2, etc.
Les auteurs imaginent, à la fin du livre, ce que représenterait concrètement pour notre
pays, année par année, un scénario de sortie du nucléaire à l’allemande. Scénario réaliste
donc. La fermeture successive des réacteurs choisis en fonction de leur état et construits de
1977 à 1985 ferait baisser la production nucléaire de 409 TWh en 2009 à 180 TWh en 2020. 4
Comment alors répondre aux besoins d’électricité de la population française en 2020 ? La
priorité doit être donnée aux économies d’électricité dans les différents secteurs dont le
résidentiel et le tertiaire qui représente à lui seul les deux tiers de la consommation électrique.
Une politique volontariste d’économie d’électricité pourrait ainsi permettre de faire chuter  le
besoin de production d’électricité en France, de 516 TWh en 2009, à 390 en 2020 et 340 en
2031, tout en maintenant le confort des français. Des économies de l’ordre de 50 % sont
possibles dans les domaines du chauffage domestique, de l’eau chaude sanitaire, du froid, de
l’éclairage privé et public ; de la climatisation, de la bureautique, de l’électroménager, en
particulier par une politique de rénovation thermique des bâtiments et une éradication
progressive des chauffages électriques.
Le second volet du scénario concerne le remplacement du nucléaire. Les projections
actuelles permettent de concevoir à l’horizon 2031 une production de 110 à 140 TWh
d’éolien, de 40 TWh d’électricité biomasse, de 50 à 70 TWh de voltaïque, 10 à 20 d’autres
renouvelables (géothermie, énergies marines, hydraulique… Bref, on pourrait y arriver ! Une
chose est sûre et les auteurs ont raison de le rappeler dans leur conclusion : le splendide
isolement de la France dans le domaine de l’énergie nucléaire risque de nous coûter très cher.
Publié dans laviedesidees.fr, le 13 décembre 2011
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